La verticalité de l’apprenant

« Pendant les mouvements généraux, entrée en classe, changements de place, sortie, le plus grand silence est observé dans les rangs ; les élèves marchent en ligne, le corps droit, les bras dans une position uniforme, soit croisés sur la poitrine, soit rejetés en arrière avec les mains au dos. On a beaucoup critiqué cette dernière posture qui, dit-on, donne aux enfants l’air de petits captifs ; elle est cependant, de l’avis des médecins, préférable à la première au point de vue de l’hygiène, car elle favorise le développement de la poitrine et force l’enfant à se tenir droit. Dans les marches ainsi conduites, on ne voit jamais les enfants se bousculer et même se battre, comme cela arrive lorsqu’ils conservent la liberté complète de leur attitude et de leurs mouvements : ils contractent de précieuses habitudes d’ordre et se préparent au travail par une sorte de recueillement. »
Cet extrait ne provient pas d’un projet de circulaire du Ministre de l’éducation nationale mais du dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson publié en 1911  [1]. On voit par là que les règles élémentaires de la discipline scolaire ont été posées depuis longtemps et je ne comprends pas les réactions indignées qui ont suivi les propos de Luc Chatel sur la station debout des élèves à l’entrée de leur professeur dans la classe [2].
La station debout est en effet LA marque de notre espèce, notre fierté au sein de la classe des mammifères. Je ne parle pas ici des dandinements maladroits de nos cousins primates ou de la verticalité drolatique des suricates mais bien de l’admirable bipédie humaine. J’aurais aimé assister à l’instant où, la petite Lucy quitta sa branche pour cheminer maladroitement dans la savane en roulant des fesses sous l’œil attendri de ses parents encore perchés. C’est que la bipédie s’acquière au prix d’innovations anatomiques considérables : un bassin large, un angle d’ouverture du col fémoral convenable et des fessiers développés pour ne citer que les plus évidents [3]. D’un point de vue fonctionnel, la bipédie implique un mécanisme complexe. Ce mécanisme permet à un muscle soumis à un allongement du fait des mouvements de flexion qu’entraine la gravité, de se contracter par un réflexe que l’on qualifie de myotatique. Je ne dis rien de l’implication des organes tendineux de Golgi, des neurones fusimoteurs et de l’importance des fibres Gamma dans ce processus. Je ne m’étends pas sur la station debout qui autorise le développement de la boîte crânienne et  donc de l’encéphale. Les lecteurs de ce billet titulaires d’un baccalauréat scientifique connaissent tout cela.
On voit par là que se tenir debout est une marque d’humanité et qu’il n’y a pas lieu de s’offusquer qu’elle revienne dans les salles de classe. J’ai lu ici ou là quelques esprits chagrins qui dénoncent la confusion entre autorité et autoritarisme, qui voudraient nous faire croire que les enfants d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui et que des enseignants sont respectés de leurs élèves sans avoir à manier la contrainte et la punition…  Je m’étonne.

Notre système éducatif a un certain nombre de défis à relever qui engagent l’avenir de notre jeunesse. Pourrions-nous faire l’économie du débat de la verticalité de l’apprenant ? Quand j’ouvre le Devoir [4] j’ai comme une angoisse d’y lire un matin que, dans le pays de Rabelais et de Rousseau, on débat, au XXIème siècle,  du bien fondé de demander aux élèves de se lever à l’entrée de leur professeur.

Socrate avait, je crois, tranché la question des relations d’autorité entre les élèves et leur enseignant. S’adressant un jour au père d’un jeune homme dont il avait entrepris l’instruction, il lui dit : « Je vous rends votre fils, je ne puis rien lui enseigner, il ne m’aime pas » [1]

Références

[1] Buisson, F. (1911). Nouveau dictionnaire pédagogique et d’instruction primaire. Paris : Hachette.
http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson

[2] Les élèves doivent-ils se lever quand le professeur entre dans la classe? Libération 30/08/2010

[3] Chevalier, T. (2006) Australopithecus afarensis : bipédie stricte ou associée à une composante arboricole ? Critiques et révision du matériel fémoral. L’Anthropologie. 110(5) pp 698-731.

[4] Quotidien d’information québécois fondé en 1910

crédit photo (c) INRP

2 Responses to La verticalité de l’apprenant

  1. […] This post was mentioned on Twitter by C. Jouneau-Sion and MilaSaintAnne, juliemacquart. juliemacquart said: RT @cjouneau: Pour une rentrée en rigolant, ce billet énervé de Subreptice sur la verticalité de l'apprenant http://j.mp/d3NO4G […]

  2. Superbement écrit! Et quelle audace que cette ironie révélée à la tombée du rideau.

Répondre à François Guité Annuler la réponse.