Mes cours Web 1.9. EPH (Environnement Pédagogiquement Hostile)

janvier 26, 2012

Environnement Pédagogiquement Hostile : nm de παιδαγωγία, direction ou éducation des enfants et hostis ennemi
Désigne un ensemble d’éléments techniques et architecturaux généralement imaginés par des informaticiens ou des architectes, qui considèrent qu’enseigner consiste à causer à des oignons en rang.

Débarqué matutinalement de mon TGV, je croyais avoir tout bien préparé pour ce cours parisien. J’avais envoyé des demandes certes délirantes (un vidéoprojecteur et aussi un accès wifi) mais qui avaient été volontiers acceptées. Mon cours porte sur les apports de la didactique pour l’analyse des situations d’apprentissage intégrant le numérique alors on satisfait parfois mes lubies de pédagogeek. A l’Université Denis Diderot, bâtiment Condorcet, c’est assez simple de récupérer un vidéoprojecteur. Il suffit de monter au 8ème étage et de croiser très fort les doigts pour que le gardien de l’appareil n’ait pas eu l’idée saugrenue de filer prendre un café. L’ascenseur est certes un peu long à venir mais c’est l’occasion de causer avec des indigènes qui eux le prennent plusieurs fois par jour cet omnibus vertical. Par chance, je ne me trompe pas d’ascenseur (sinon c’est arrêt au 4ème et il faut attendre à la correspondance). Entre parenthèses je trouve ce dispositif absolument génial. L’architecte a ajusté la disponibilité des ascenseurs en fonction de la sensibilité moyenne de la population étudiante et professorale au vertige. Plus on monte et moins il y a de volontaires pour monter. Alors un seul ascenseur pour desservir le dernier étage c’est bien suffisant. Bonne surprise, le vidéoprojecteur est accessible, récent, léger. Rien à voir avec les monstres des amphis du CNAM dont on dit que Napoléon les utilisait pour passer des Power Points à ses généraux afin de préparer ses batailles. Léger, ça tombe bien parce que j’ai cours au second et on dirait bien que l’omnibus vertical est parti déjeuner. Les escaliers en descente, six étages seulement, ce n’est pas si terrible pour un athlète de la pédagogie. Je descends en petites foulées.
La salle 206 est petite. Normal, je n’ai que 10 étudiants. Mais alors pourquoi cet alignement de tables et de chaises qui fait que chacun n’a d’autre choix que de s’adresser à l’enseignant ou au dos des ses condisciples ? J’ai un quart de siècle d’expérience d’enseignement alors la manipulation de tables pour faire un beau rectangle ou chacun pourra voir tout le monde, où l’enseignant pourra disparaître un peu et laisser des étudiants débattre, ça n’est pas pour me faire peur et on reconnait un social-constructiviste à l’ampleur de ses deltoïdes. Les étudiants ont, comme convenu, apporté leurs ordinateurs et un technicien m’a envoyé un login et un mot de passe pour le wifi. Mais c’est un technicien facétieux parce que de toute manière le wifi lui, il est surement fâché avec l’omnibus parce qu’il n’est jamais arrivé jusqu’à la salle 206. Pas question d’accéder aux ressources que j’avais déposées sur mon blogue et tintin pour la prise de notes collaborative sur Etherpad. Là j’étais un peu énervé alors j’ai traité le mal par le mal : près de deux heures de cours magistral (si, si, je sais faire ça aussi) avec une telle concentration  de concepts par diapo que, à côté, la densité de population de Taïwan a des allures de Livradois-Forez (je profite de l’espace qui m’est ici offert pour adresser de plates excuses aux étudiants qui ont subi ma logorrhée verbale et souligner la beauté et le calme du Livradois-Forez).
C’est le temps d’une pause et aussi d’attraper le technicien qui avait la charge d’installer le wifi (comme me l’apprennent incidemment les étudiants). Mais pas de technicien en vue (mon hypothèse initiale qui était qu’il attendait patiemment l’omnibus vertical s’est vite révélée fausse). Alors je me suis souvenu du bar dans lequel j’avais déjeuné. Un espace lumineux, des chaises et fauteuils confortables et plein de bornes WIFI. Le patron est enchanté de nous accueillir. Il m’appelle monsieur le professeur. Je suis flatté. Il nous a disposé des tables pour que les étudiants puissent s’installer en vis à vis (je le soupçonne d’avoir lu Vygotski et Wenger) et il nous offre des frites pour grignoter avec les consommations. Les étudiants sont un peu surpris de me voir commander un demi mais je n’aime guère le thé. Certains font de même et tous se mettent à bosser. En quelques minutes la « Galette Roulée » est devenu un environnement pédagogique accueillant où des étudiants de Master travaillent à l’analyse didactique de situations d’apprentissage utilisant des logiciels de modélisation et de simulation. Mon lecteur de Vygotski commence à tirer des plans sur la comète et se rêve président d’université. Cette fois, les murs de ma classe devenu si transparents (voir l’épisode précédent) ont complètement disparus.

En somme, que les bars soient des learning centers, ce n’est pas une idée nouvelle. Vous les révisiez où vous vos partiels d’examens ?